Les Jardins d'Amènta, op.13 Conte symphonique pour orchestre
(1997-1998)

Durée : 32’
Dédicace : à Anne Le Forestier-Florentz
Création :
29 mai 1997, Lyon, auditorium Maurice-Ravel
Orchestre National de Lyon
Direction : Emmanuel Krivine
Effectif : 4333 – 4430 – Timb., perc. (4 ex.)
– Célesta – 2 harpes – Cordes : 16, 14, 12, 12, 10  




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LES JARDINS D'AMÈNTA, OP.13
(KANAOU IMÈNTET)

L'expression « Ahâ-Mèn-Ptah » (« Cœur-ainé-coucher-de-Dieu » c'est-à-dire Osiris) a subi une contraction tardive dans les textes attachés à l'ouvrage improprement appelé : « Livre des Morts »- L'AMÈNTA. En Égypte, ce nom a cependant conservé une signification originelle, celle de « Pays des Morts », « Pays des Bienheureux », ou « Pays de L'Au-delà ».

Le présent ouvrage, commende de l'Orchestre National de Lyon,
est un Conte Symphonique inspiré pour l'essentiel du « LIVRE DES MORTS » égyptien, tel qu'il figure, condensé, dans le « Papyrus d'ANI ». Ce récit est toutefois éclairé et renforcé par d'autres sources, tirées notamment de certains contes africains, et du Psaume 42 (43) : « Juge-moi, Dieu, défends ma cause... »

Deux grandes périodes le « LIVRE DES MORTS DES ANCIENS EGYPTIENS »,
le voyage dans la « Barque Solaire », et le jugement de l'âme (la psychostasie), au terme duquel le défunt, déjà ressuscité, est admis ou non dans les « JARDINS
D’AMÈNTA
» (en égyptien : KANOU IMÈNTET), qu'on appelle aussi : « Les Champs de Serht-lànrou ».

Cet ouvrage peut être perçu comme un Poème symphonique, au sens occidental du terme, avec la différence que le déroulement musical ne suit pas étroitement, le texte inspirateur. Pour ma part, j'ai choisi « Conte Symphonique » dans son sens africain ; j'en ai adopté la structure quadripartite et l'esprit initiatique :

A- Création d'une atmosphère d'irréel, destinée à couper l'auditoire des réalités
quotidiennes
B- Formule introductrice spectaculaire, entonnée par le conteur principal
(plusieurs conteurs peuvent se partager la séance).
C- Conte proprement dit, interrompu périodiquement par des interventions de
l'assemblée et d’« agents rythmiques », et par des chants n'ayant pas toujours
un rapport direct avec le contenu de l'histoire.
D- Formule terminale, dont la conclusion n'est pas obligatoirement une
conséquence du conte lui-même.

Mon conte symphonique ne comporte ni texte chanté, ni récitant.
C'est l'orchestre seul qui « raconte ». En Afrique, les instruments sont capables de « parler », avec leurs cordes, les lames des balafons, des sanzas... Les initiés peuvent alors comprendre un message codé, crypté, qui n'est pas forcément celui qu'ils entendent « en clair » par la bouche du conteur. Il en va de même dans le présent ouvrage. Mais ici, il s'agit d'une « musique-histoire », et non d'une « histoire-mise-en-musique ». Structure, esprit et sources sont étroitement mêlés.
« LES JARDINS D’AMÈNTA » sont traités un peu comme un « Concerto pour
orchestre », mais là encore, plutôt dans le sens africain du terme. Il n'y a pas de
véritable séparation ou de hiérarchie des groupes instrumentaux comme dans les
concertos occidentaux. L'ensemble des 96 musiciens intervient quasiment à tout
moment, et la virtuosité est présente à peu près à tous les pupitres.
Le foisonnement résultant se voudrait une représentation musicale du faste de la
rencontre avec le « Visage », lors du décès de chacun d'entre nous. C'est tout le
contraire d'un « Requiem », où la tristesse étreint ceux qui restent.
Ici, j'ai modestement tenté d'imaginer la mort du point de vu de celui qui est
parti.
Vingt-neuf séquences (le chiffre 29 est en relation avec la durée d'une lunaison complète : 29 jours environs) s'enchaînant d'une seule traite, regroupant néanmoins l'ouvrage en deux parties, correspondant à celle du « LIVRE DES MORTS DES ANCIENS EGYPTIENS ».

I. La première partie, «Sortie vers la lumière du jour» (séquence I à XI),
comporte deux périodes d'inégale longueur.

A. Un prologue incantatoire plante un décor féérique, séquences I et II : « Le
  Calao du Mastaba
» (les Calaos, oiseaux africains, jouent un rôle considérable
  dans les contes)- « Le Grand Sycomore ».
  À ce prologue s'enchaînent plusieurs danses initiatiques, destinées à
  déconnecter l'auditeur des réalités terrestres, séquences III à VII : « La
  Barque du Soleil
»- « Cortège des Shaouabtis » (génies protecteurs de
  l'âme pendant son voyage dans l'Au-delà)- « Île de Lotus »- « Le Soleil
  renverse les vases d'huiles
».

B. Une transition calme et mystérieuse introduit «Le Prince des Griots»
(Séquence VIII). L'auditoire est progressivement projeté dans un monde
imaginaire, surréel, « La Chapelle des Oracles » (Séquence XI), où chacun
voit alors « Le fil d'Argent » qui relient l'âme du corps de tout être vivant
(Séquence X : gigantesque masse (), striée de roulements de Tam-tams, grelots, et grosse Caisse…). Le « conteur », sous la forme d'un trio des trois
premiers Violons soli, dépeint alors l'univers fantastique du véritable voyage
dans l'Au-delà, « l'Kaggen, Seigneur des Étoiles » (Séquence XI).
Cette dernière séquence se dissout finalement dans une nuée de trilles et
trémolos de l'orchestre à cordes.

II. La seconde partie, « Dis-moi mon nom » (Séquences XII à XXIX) s'enchaîne à la
première sans véritable transition ; un fil ténu la relie à la précédente : un trille de deux flutes (). Elle comporte également deux périodes d’inégale longueur.

C. Un premier mouvement lent, mais intense, « Sur les bords du Temps »
(Séquence XII), ponctué de chocs étranges, sourds et profonds d'un « glas
pharaonique », introduit le défunt (ou le « voyant », ou si l'on veut, tel d'entre
vous, vivant une expérience de décorporation) au cœur d'un brasier de lumière
dans lequel son âme se dilate, « Un jeune homme nu étreint le Soleil »
(Séquence XIII). Bientôt une apparition chaleureuse et flamboyante, « La
Vieille Fée des Termitières » (Séquence XIV), l'entraîne dans une danse-
procession, « Lys d'émeraude » (Séquence XV), au paroxysme de laquelle
« le voyageur » aperçoit « Le Château des Millions d'Années » (Séquence
XVI). Il passe alors entre les « Sentinelles dorées » (Séquence XVII), pour
rencontrer enfin «Celui qui connaît les abîmes» (Séquence XVIII).
À ce moment, sur une litanie déferlante des Cordes et Harpes, le Cor Anglais solo,
chargé d'harmoniques de Flûtes et Clarinettes, entonne : « Seigneur, Roi de la
Paix », très vieux chant pharaonique toujours utilisé actuellement dans la
liturgie copte. Sans discontinuité, le « Roi de la Paix » projette « le voyageur »
dans une vague tourbillonnante, et lui montre Les Marais de Senhakarha
(Séquence XIX), où Isis recherchait les restes démembrés d'Osiris massacré par
Seth. La danse s'apaise et conduit à un second mouvement lent, qui correspond à la « psychostasie » du « LIVRE DES MORTS » égyptien.
Le défunt s'asseoit sous le « Baobab de Turquoise » (Séquence XX) et revoit toutes ses actions passées, même les plus infimes, bonnes ou mauvaises : « Larmes du garçon des Savanes » (Séquence XXI). Mais il ne comparaît pas : il se blottit. Il n'a pas beaucoup de temps pour reconsidérer son existence, ou plutôt, les choses vont si vite qu'une nouvelle « déferlante », qui semble reprendre le rythme très chaloupé du « château des Millions d'Années », le sort bientôt de sa torpeur, « Par ici, viens! » (Séquence XXII).

D. Sans transition, l'orchestre chante alors l'expectative du « défunt » (ou encore
une fois, si l'on préfère : de celui qui vit aux frontières de la mort), « Là où se
croisent les deux sentiers » (Séquence XXIII). Un nouvel appel en forme de
fanfares de Trompettes ornementées par tout l'orchestre, interrompt son
anxiété, « Passe, tu es pur! » (Séquence XXIV). Mais le « défunt », par la voix
du premier Violoncelle solo, ne sait s'il doit ou non son voyage, « Mon nom est
un Mystère » (Séquence XXV). L'appel se fait pressant, envoûtant, « Navigue
droit devant toi » (Séquence XXVI). Le « voyageur » franchit alors le seuil de
l'Amènta (dans le « LIVRE DES MORTS », il prononce le nom secret que porte le
seuil et désir par nom toutes les boiseries qui forment la porte) et contemple
« L'Eau des Abîmes » (Séquence XXVII) dans laquelle il s'immerge totalement
sous les « Parfums d'acclamation » (Séquence XXVII). Il entre enfin dans les
« Champs de la Paix » (Séquence XXIX).


Jean-Louis FLORENTZ-17 Janvier 1997